Ainsi les pierres de Soultz laissent-elles murmurer les mémoires des temps passés...
ZoomL'origine de Soultz se perd dans la nuit des vestiges de l'autre ère
Silex éclatés ou pierres façonnées livrés par quelque glaisière abandonnée, ossements de fonds de cabanes néolithiques ou, plus près de nous, aux premiers siècles des temps que nous disons nôtres, tant de choses et objets curieux, nous parlent de cette civilisation étonnante de richesse et de savoir-faire qu'a été l'occupation romaine.
Étroitement liée à l'histoire de la plaine du Rhin, Soultz a vécu, avec elle, tous ces événements et en est le reflet vivant.
Nous trouvons pour la première fois son nom -dérivé de la source salée qui coule encore aujourd'hui, chichement, dans le centre-ville en 667, dans un acte de donation du duc d'Alsace Adalric, père de sainte Odile, en faveur de l'abbaye d'Ebersmunster, qui eut par conséquent à Soultz une cour, et de laquelle lui vint le vocable de Saint-Maurice, patron de la paroisse.
Dès cette époque, un lieu de culte devait se trouver à l'emplacement de l'église actuelle, probablement remplacé au XIe siècle par un deuxième édifice, disparu à son tour fin du XIIIe.
Fief de l'Évêché de Strasbourg
L'évêque Wernher de Strasbourg s'empara du territoire en 1015, et Soultz devint fief de l'Evêché. Les différents ministériels qui se succédèrent au fil des ans logèrent au château du Bucheneck, fortification élevée dans une boucle du Rimbach, existant déjà au tout début du XIIe siècle. On y cite les noms suivants: le comte Ulric d'Eguisheim en 1118, les comtes Walter et Burkard de Horbourg en 1230, Guillaume de Soultz en 1254, les Pfaffenheim en 1289.
ZoomImportante commanderie de Saint-Jean
En 1210, l'Ordre souverain de Saint-Jean de Jérusalem, connu de nos jours sous le nom d'Ordre de Malte, vint s'installer dans le faubourg nord du village. Il y construisit sa propre église qui fut consacrée en 1234. L'établissement -abritant aujourd'hui la Nef des Jouets- lui aussi était fortifié, donc défendu par un système de murs et de fossés.
Déjà une ville au XIIIe siècle
Puis, dès 1249, la localité obtint le titre de «ville». On lui accorda sa constitution propre, elle élut son bourgmestre et ses conseillers, obtint sa juridiction. Un premier mur d'enceinte fut élevé, mais il s'avéra bientôt utile de le doubler par un deuxième, ce qui fut fait en 1328, englobant la Commanderie de Saint-Jean.
Soultz, à ce moment, avait pris la configuration qu'elle garda jusque dans l'ère industrielle, car les premières maisons nouvelles ne firent éclater son corset de pierre qu'aux environs de 1900.
Mais revenons au XIIIe siècle et notons d'abord que dans l'ancien domaine de la «Cour de la Porte», cédé par le comte de Ferrette à l'abbaye des cisterciens du Lieu-Croissant, apparaît une troisième église. Celle-ci, à trois nefs et comptant plusieurs autels, fut dédiée aux Trois Rois.
Elle fut détruite au XVIIIe, mais son chœur, devenu chapelle, ne fut rasé que plus tard.
Symboles de la foi des Soultziens et calamités
En 1270, on s'attaqua à la construction de la nouvelle église paroissiale, sur l'emplacement même de l'ancienne. Transept et nef seront élevés au XIVe, mais la dernière travée ouest ne s'y ajoutera qu'en 1489. Entre-temps, d'autres lieux de dévotion furent installés à travers la cité. D'abord, hors des murs, la chapelle Sainte Marguerite dans la maladrerie du même nom (1264).
Puis celle de Saint Sébastien en 1535 dans l'actuelle rue de l'Église. Depuis 1632 existait un couvent des Capucins, notre hôpital actuel. Sa petite église ne fut érigée qu'en 1651.
Enfin, en 1692, la chapelle du Rosaire (actuelle rue de Lattre de Tassigny) vint clore la liste.
Soultz n'est pas épargnée lors des terribles périodes de famine et d'épidémies du XIVe siècle en Haute-Alsace. La peste ravage sa population en 1322, puis en 1337, lors du siège que les Paysans faméliques avaient mis à la ville, une nouvelle fois en 1340, enfin en 1349.
Vers 1375 Enguerrand de Coucy ravage avec ses Anglais la plaine, détruisant au passage le tout proche village d'Alschwiller, au sud de Soultz. Au XVe siècle, les Armagnacs viennent semer la terreur et la mort.
L'année la plus cruelle sera celle de 1450. Puis c'est la Paysannerie qui se révolte en 1525. Une bande de rustauds grâce à l'aide de quelques bourgeois complices, pénètre en ville. Curieusement, les plus grands dégâts signalés le sont dans les caves des couvents, où le bon vin ne faisait pas défaut.
La prospérité de la Renaissance
A la fin du XVIe, puis au début du XVIIe siècle, la cité connut, comme les autres localités surtout vigneronnes des environs, un élan de renouveau qui vit s'élever l'une après l'autre toutes ces belles demeures à tourelles d'escaliers, oriels et contreforts.
L'une des plus riches, l'ancien Hôtel de Ville, actuelle M.J.C., n'existe malheureusement plus dans sa version de 1547, mais les pierres sculptées retrouvées lors de la restauration du bâtiment permettent d'imaginer l'opulence de ses façades ornementées.
La guerre de Trente Ans. Un nouveau cortège de calamités et de malheurs déferle sur la ville.
L'année 1634 voit une peste terrifiante décimer sa population, et un grand nombre de survivants fuit la cité où règnent la mort, la peur et la désolation.
Le rattachement de l'Alsace à la France en 1648 n'influe ni sur les structures politiques ni sur le mode d'une vie qui continue au ralenti dans un bourg exsangue qui ne se remet à vivre vraiment qu'à l'arrivée progressive de familles surtout suisses dans cette deuxième moitié du XVIIe siècle.
Un fait d'armes est néanmoins à signaler en 1652, où les assaillants lorrains sont repoussés avec brio, laissant dans leur fuite leurs échelles aux murs et plusieurs morts sur le terrain.
Soultz connaît une nouvelle période prospère aux alentours de 1770. Plusieurs beaux bâtiments de style nouveau, avec toitures brisées à la Mansart, en témoignent.
Puis c'est l'orage de 1789
La Révolution confisque les biens de la noblesse et de l'Église, supprime les ordres. La commanderie de l'Ordre de Malte est mise en vente, toutes les chapelles sont détruites. Les innombrables blasons des familles nobles disparaissent, buchés, irrémédiablement perdus.
Marc Antoine Berdolet, évêque constitutionnel, vient résider en 1796 à Soultz - qui devient de ce fait évêché - jusqu'à son départ pour le siège d'Aix-la-Chapelle, en 1801. Enfin, la ville est détachée de l'autorité spirituelle du diocèse de Bâle en 1805 et rattachée à celui de Strasbourg, évêché auquel elle appartenait depuis le XIIe siècle.
L'ère industrielle
Un nouvel hôtel de ville est élevé en 1856 après démolition de tout un quartier de vieilles maisons sur la place du Marché (l'ancienne rue des Prêtres).
La fontaine monumentale surmontée d'un saint Maurice de grès jaune, complètera en 1878 l'image de la place qui ne changera plus guère jusqu'à nos jours.
L'ère industrielle voit fleurir à Soultz diverses fabriques. Un important tissage de soie, une fonderie y apportent la prospérité et le nombre d'habitants atteint les 3000.
Pris dans les conflits franco-allemands
Quelques accrochages des troupes allemandes avec les francs-tireurs en 1870, puis le calme revient jusqu'à la guerre de 1914-18.
Les combats pour la possession du Hartmannswillerkopf ont fait rage sur la montagne et les localités voisines de cet "enfer de fer et de sang" ont payé sous forme de plusieurs morts et d'innombrables maisons éventrées, leur tribut à ce nouveau conflit. Moment critique en 1917: l'ordre d'évacuation était imminent, mais les imprimés, déjà prêts, ont finalement pu être retenus.
Voilà, en quelques lignes, l'histoire d'une petite ville tranquille.
«Ech kenn nix, ech ben vu Soultz»
Pourtant, vont déclarer les gens du coin, tout n'est pas dit. Le Soultzien a un esprit et une mentalité bien spécifiques. Plusieurs petits dictons y réfèrent, dont le plus connu est bien celui-ci: «Ech kenn nix, ech ben vu Soultz» -je ne veux rien savoir, je viens de Soultz! - Pourquoi cette renommée plutôt douteuse ? Serions-nous différents de nos voisins de Guebwiller, par exemple ? Eh bien, il faudra en convenir : oui. Et cette différence trouve justement son origine dans cette histoire sans éclats ni faits bien extraordinaires. L'étudier à fond prendrait plusieurs pages, aussi tâcherons-nous d'être très brefs. Soultz faisait donc partie de ce Ober- ou Haut-Mundat de l'Evêché de Strasbourg, au même titre que tant d'autres villes, comme la proche Rouffach, mais avec la différence qu'elle se trouvait à la pointe extrême sud de ces propriétés réparties à travers la terre d'Alsace et en plus, enfoncée comme un coin dans le territoire des Princes-Abbés de Murbach.
Nos évêques devaient tenir particulièrement à leur petite place forte qui siégeait tout à l'autre extrémité de leurs possessions, avaient besoin de gens de confiance, dont la fidélité ne ferait pas défaut. D'où des égards pour cette population qui peu à peu prend conscience d'un certain esprit d'indépendance, d'une certaine liberté dont les habitants de Guebwiller, sous la tutelle étroite de leurs Princes-Abbés, n'ont jamais pu profiter.
Cet esprit, petit à petit, non accoutumé à une discipline stricte, devient fier, frondeur, républicain avant l'heure.